welcometomymind

sortez du troupeau

Mardi 27 mai 2008 à 22:57

            Les mois s'étaient enchaînés sans que Jean ne réalise quoi que ce soit. Il avait vécu dans la nébuleuse d'un autre système solaire. Il avait l'apparence d'un homme ayant dormi sans la rue pendant plusieurs semaines. Ses yeux portaient des marques qui sans doute ne s'en iraient jamais, ils étaient gonflés et avaient constemment l'air humides, même si un doigt passé sous la paupière forçait à se rendre à l'évidence. Ils étaient à la fois inexpressifs et remplis de toute la souffrance du monde. Son visage comportait de petites rides par endroit et on pouvait voir quelques cheveux blancs, présents bien trop tôt dans la chevelure d'un jeune étudiant.

           Il évitait les gens, ne décrochait plus son téléphone, lisait à peine ses sms et n'y répondait jamais. Cela faisait six mois, depuis l'enterrement, qu'il n'avait pas vu ses parents. Il n'était pas devenu spécialement mysanthrope mais, au fond de lui, il voulait s'enfermer dans sa souffrance, être sur de ne pas oublier, comme si c'était possible ... Mais le mec effondré et vulnérable ça en avait ému au moins une. Carole ne cessait de l'appeler, de lui écrire, parfois même elle se retrouvait sur le pas de sa porte. Il était totalement indifférent à toutes ses tentatives pour le récupérer.

         Il se sentait étouffé, tout lui faisait peur et tout l'opressait. Il se complaisait dans cette douleur qui l'amenait jusqu'à la souffrance physique. Il commençait à se demander, parfois, dans des sursauts de lucidité, combien de temps il pourrait rester en vie comme ça. Mais après tout est-ce que ça avait réellement une importance ? Il l'avait perdu. Il pouvait se passer n'importe quoi dans sa vie à présent, il l'avait perdu et il ne reviendrait jamais. Tout cela avait-il encore un sens ? Sa vie à présent n'étaient qu'une longue comédie qu'il jouait en avançant dans le brouillard. Les contours des choses, des sentiments et de l'existence devenait vraiment flous pour lui et il ne voyait même plus la frontière qu'il pouvait y avoir entre sa vie et sa propre mort.

       Il avait passé les derniers mois entre son appart, la fac et la bibliothèque. Le travail était devenu sa seul obcession et Aurélie son seul lien avec la civilisation, leurs conversations téléphoniques, leurs lettres, leurs e-mails. Elle était la seule chose qui le rattachait encore au monde. Elle avait quelqu'un dans sa vie, et là aussi, difficile de savoir s'il était jaloux ou s'il lui était vraiment impossible d'encore ressentir quoi que ce soit ... Elle avait peur pour lui, elle le connaissait trop bien. Il était vulnérable avec elle, il se rendait compte que les choses pourraient être différentes. Elle insistait pour le voir, s'assurer qu'il allait bien. Il s'y refusait obstinément, il allait pas bien du tout, il n'était même pas sur qu'elle le reconnaitrait et il avait peur d'elle.  Peur de réaliser combien il avait besoin d'elle et qu'il suffirait d'un geste, d'un mot, pour que sa vie change et reprenne un sens, pire encore, de réaliser qu'il suffisait qu'elle existât pour que sa vie garde un sens et qu'il soit encore là.

        Les mois s'étaient enchainés sans que Jean réalisa quoi que ce soit. Il avait vécu dans la nébuleuse d'un autre système solaire. Les caprices du calendrier l'obligeaient déjà à redescendre sur terre et à revenir à la réalité. Il se trouvait devant le panneau d'affichage de son immense fac. Il avait attendu toute une semaine pour être sur d'être seul à ce moment là. L'heure de vérité. Qu'avait donc donné sa seule obsession ? Il chercha des yeux la ligne des S, il était allé trop loin ... Virly ... Socquard ... ça y est, il y était enfin ! Simon Jean. Ses yeux filèrent tout au bout de la ligne pour voir sa moyenne. Il écarquilla des yeux qui n'avaient fait que rester mi-clos durant tout ces mois, il vérifia la ligne ... c'était bien sa note. 16,02. Mention très bien. Toutes les portes lui sont ouvertes, il peut avoir une bourse de mérite s'il en a envie et des recommendations sûrement.

      Jean s'éloigne en trainant des pieds ...

crapulerie publiée par Céline

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Lundi 26 mai 2008 à 22:10

               L'enterrement avait eu lieu sous la neige : très pittoresque. Jean n'avait pas pleuré, mais il était vide et n'avait plus la force de s'occuper de qui que ce soit. Il était plongé dans une crise de mutisme sans précédent. Il ne désirait qu'une chose : devenir autiste mais il avait beau essayer cela ne marchait pas. Aurélie lui tenait la main. Et elle ne l'avait pas laché durant tout le mois de janvier. Elle s'occuait de lui comme de quelqu'un incapable de se débrouiller tout seul.

            Jean parlait peu. Vraiment très peu. Il retournait en cours, rentrait, révisait ses cours, se couchait. La situation devenait de plus en plus dure pour Aurélie. Mais elle avait tenu bon vraiment longtemps. Un jour elle lui a simplement expliqué que s'il voulait s'en sortir lui seul pouvait le décier et elle est partie. Elle n'avait pas tort, personne ne pouvait l'aider mais il ne voulait absolument pas s'en sortir. Alors elle est partie. Il l'a perdue et il n'a même rien dit.

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Lundi 26 mai 2008 à 12:38


          Arrivé à destination, il ouvre la porte de l'appartement dont il possède désormais la clef. Il prend une couverture posée sur le canapé, recouvre Rébecca endormie, ramasse  les mouchoirs trempés de larmes  qui trainent  tout autour et les expédie à la poubelle. Il prépare  le dîner pour deux personnes et une fois qu'il a fini réveille Rébecca. Ils mangent en silence. Peu de temps après après, c'est immanquable, Rébecca s'effondre et éclate en sanglot. Jean doit souvent la porter jusqu'à sa chambre et attendre qu'elle se calme et s'endorme avant de repartir.
               Bientôt deux mois que sa vie c'était ça. Saleté de période. Saleté de période. Saleté de réveillon. À peu près à la même période, il y a un an, il lui annonçait son mariage et voilà qu'il était dans un lit d'hôpital à ne pas bouger depuis bientôt deux mois. Stupide coma et stupide méningite qui l'avait plongé dans un sommeil dont il n'était pas sorti depuis bientôt deux mois. Stupide vie qui le rendai absent au milieu de sa famille pendant les fêtes de Noël.
                Jean avait mis son téléphone sur vibreur pour ne pas perturber le repas du réveillon mais l'atmosphère était lugubre. Il regarda discrètement sous la table le texto qu'il avait reçu, Aurélie "Désolé de te déranger en plein repas. Je sais pas exactement ce qu'il se passe mais tu devrai t'arranger pour venir." Jean se lève, prononce ces simples mots "C'est Nathan" et se précipite dehors.
             Arrivé à l'hôpital, Aurélie le prend immédiatement dans ses bras "je suis désolée". Jean n'arrive pas à y croire. Les pensées se bousculent dans sa tête. C'était dur ces deux mois mais il aurait continué longtemps comme ça, il aurait pu y arriver, il en était capable et Nathan aurait fini par guérir. Les larmes coulent sans même qu'il s'en aperçoive , des larmes qu'il a tellement retenue pour les autres. Sa gorge se rétracte et se contracte à une vitesse furieuse. Il a envie de crier mais tout reste à coincer dans cette gorge qui ne cesse de s'agiter. Son estomac se retourne, il se dégage violemment des bras d'Aurélie qui se sent de plus en plus impuissante, et se précipite vers les toilettes une main sur la bouche. Son estomac totalement vidé, il regarde son reflet brouillé par les larmes dans le miroir des toilettes. Il se tient de toutes se forces au lavabo pour ne pas tomber mais tout son corps est agité de spasmes et il s'écroule. Il pleure, pleure comme jamais il n'a pleuré, il hurle sans la moindre retenue, son corps lui fait mal, il ne trouve ni les battements de son cÅ“ur ni sa respiration. Il panique, cherche de l'air. Aurélie arrive. L'entoure de ses bras. Sa main lui caresse les cheveux. Elle pose la tête de Jean tout contre elle. Jean ferme les yeux.

crapulerie publiée par Céline

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Lundi 26 mai 2008 à 12:07

          Bientôt deux mois. Bientôt deux mois que Jean voyait Aurélie et que petit à petit elle était devenue un autre lui, comme si elle avait toujours été là, comme si elle l'avait toujours attendu. Bientôt deux mois que les seules activités de Nathan étaient de faire des courbes de couleurs sur un moniteur et remplir une sonde urinaire. Jean avait délaissé ses études et sa vie pour Nathan et Rébecca. Il trouvait juste encore un peu de temps pour Aurélie, pour qu'elle l'aide et le protège, pour que ses bras soient un refuge où lui seul pourrait venir y pleurer sans que jamais personne ne le voit, sans jamais qu'elle ne le dise à qui que ce soit.
       Il allait en cours comment il pouvait. Se trouvait devant la porte de la réanimation médicale à la seconde même où les visites du début d'après-midi commençaient. Rébecca venait de moins en moins c'était devenu trop dur pour  elle, de toujours le voir immobile à juste remplir cette stupide sonde et à faire des courbes idiotes sur un moniteur qui ne lui rendait pas son mari. Les deux heures suivantes qu'il y avait entre cette visite et celle du soir, il les passait un étage au-dessus, à la cafétéria, à discuter avec Aurélie avant qu'elle ne prenne son service.
       Elle était là pour lui, depuis le premier jour, là comme personne ne l'avait jamais été. Avec elle il pouvait pleurer, pleurer ou oublier et croire, parfois, l'espace d'une seconde qu'il n'y avait qu'elle et lui au monde. Deux heures quotidiennes, les appels le soir, les textos tout au long de la journée et l'assurance qu'elle serait toujours là s'il avait besoin d'elle. IL avait besoin d'elle, comme il n'avait jamais et besoin de quoi que ce soit. Elle était plus essentiel à sa survie que l'oxygène qu'il respirait. Elle seule l'aidait à tenir et à rester vivant pour les autres pour Nathan et Rébecca.
         Après cette parenthèse de paradis il retournait en bas. Il parlait souvent d'Aurélie à Nathan. Il lui disait qu'il fallait qu'il se réveille pour qu'il puisse  la rencontrer, qu'il allait l'adorer. Il lui parlait de tout ou parfois restait juste en silence à le regarder, il le regardait tellement qu'il ne restait de lui qu'une image floue devant ses yeux qui restaient imprégnée dans son cerveau des heures durant après qu'il soit parti de là. Il est huit heures du soir quand il franchit les portes coulissantes à ouverture automatique de l'hôpital. Le bus vide et bien trop plein l'amène chez Nathan et Rébecca.
       Mais en attendant, il voit ces gens qui partagent son malheur, ça se voit à leur tête, ou qui viennent de célébrer un heureux événement. Il déteste les gens heureux dans ce bus. Ils le rendent triste et, Jean baisse la tête pour ne pas les voir. Il préfère les gens malheureux, enfin des gens qui le comprennent peut-être. Il les observe et espère qu'ils iront mieux, qu'ils pourront faire connaissance et bientôt rire ensemble de ces mauvais souvenirs. Mais il ne parle jamais à personne, il ne fait qu'observer ou baisse la tête.

crapulerie publiée par Céline

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Mercredi 30 avril 2008 à 11:49

                 La suite de la journée est un long toru noir pour Jean. Il essaye de s'évader par tout les moyens chimiques possibles. Mais il doit être fort. Fort pour Rébecca, elle est la femme de son meilleur ami, autant dire la famille. Son sens des responsabilités l'aide à tenir comme il peut. Il doit tenir, tenir pour elle. Il étouffe, ne trouve plus d'air, son coeur se compresse de plus en plus, il court pour essayer d'aller plus vite que la vie, plus vite que ce monde, plus vite que lui. Il essaye de fuir et pour la toute première fois de sa vie regarde ce ciel d'un rose bleuté et prie. Il implore Dieu, lui jure de l'honorer s'il lui donne la force de soutenir Rébecca. Il prie de toutes les forces qui lui restent comme si sa vie en dépendant, il prie bien plus fort que ça à vrai dire, il prie comme si la vie deNathan en dépendait.

                C'est le lendemain, le vingt huit octobre, un jour qu'il n'oubliera jamais non plus, qu'il a vu son meilleur ami dans ce sous-sol. L'endroit ressemblait à un bumker, des murs vides de béton  gris. Trois mètres sur deux. Un lit d'hôpital. Tout plutôt que de regarder dedans. Nathan était là, les draps de l'hôpital cachant avec trop peu de pudeur son corps nu. La sonde urinaire se balançait en dessous des barres métaliques hoizontales du lit. Le visage de Nathan se crispait à mesure que la poche se remplissait. Il était enchainé à ds dizaines de fils. Fils reliés à des seringues, fils reliés à une potences lui déversant continuellement trois poches de liquide transparent dans les veines, fils reliés à des machines sonnantes, fils reliés à des machines dessinatrices.  Des courbes, des sons et ce bruit strident qui le fait paniquer avant qu'un médecin n'arrive, remplace une énorme seringue et reparte. La porte reste ouverte et ne laisse aucune place à l'intimité. Nathan a l'air si fort dans ce lit, ses muscles dépassant du drap. Bien trop fort pour abandonner, bien trop fort pour quitter ce monde. Jean s'approche et parle à son meilleur ami, à son frère. Il le rassure, lui dit qu'il s'occupera bien de sa femme. Il pleure. Une fois. Une seule fois. Il lui dit de s'accrocher, lui raconte des blagues pour garder un peu de dignité devant ce spectateur invisible. Mieux vaut se montrer insensible que de pleurer. Il doit devenir un véritable roc. Pour tout le monde.

             Les règles de l'hôpital sont strictes. Deux heures de visite en début d'après-midi, deux heures le soir. C'est peu et beaucoup Ã  la fois. Nathan est devenu très peu doué pour faire la conversation depuis quelques temps. Cela faut une heure que la visite du soir est terminée. Jean erre dans les couloirs de l'hôpital, le cerveau vide, le coeur vide mais de plus en plus compressé tout ça complétant admirablement une vie vide. C'est à ce moment là qu'elle apparait, à ce moment là qu'elle change tout, à ce moment là ...

          Une femme s'approche de lui et lui demande ce qu'il fait là. Elle est magnifique. Jean veut faire le malin, n'importe quoi mais ne surtout pas lui montrer ce qui lui arrive. Il invente une histoire d'ongle incarné et ils se mettent à parler, plusieures heures. Il veut remonter du trou où il se trouve pour elle, lui montrer qu'il est fort et la conquérir. Il veut tomber dans ses bras et pleurer et qu'elle le sauve, qu'elle sauve sa vie, son monde et il sait déjà qu'elle en est capable. Au bout de trois heures la jeune interne l'informe qu'il devrait Ãªtre parti depuis longtemps. Jean n'est pas d'accord, il ne peut pas s'en aller comme ça. Il ne devrait absolument pas être parti d'ici depuis longtemps. Nathan devrait Ãªtre réveillé et lui devrait passer sa vie avec elle. Jean prend une inspiration :

              "Je ne partirai pas avant d'avoir ... un rendez-vous !

                Aurélie rit. Sûrement un bon point pour Jean. Elle a le sourire le plus merveilleux au monde et son rire est le son le plus beau qu'il est jamais entendu. Encore plus beau que la musique de Vangelis dans Les chariots de feu. Il lui demande son numéro de téléphone, dans un nouveau sursaut d'audace.

               - J'attendais que tu me le demandes."

               Jean a un sourire jusqu'aux oreilles. Son coeur se remet à battre et se remplit, son cerveau se remplit. Tout ce qu'il est, tout ce qu'il a se remplit d'elle. Il ressent à nouveau. Et la douleur prend place à côté de l'espoir et de l'amour qui n'a pas eu besoin de plus de quelques heures pour êre présent à jamais.

crapulerie publiée par Céline

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