Les mois s'étaient enchaînés sans que Jean ne réalise quoi que ce soit. Il avait vécu dans la nébuleuse d'un autre système solaire. Il avait l'apparence d'un homme ayant dormi sans la rue pendant plusieurs semaines. Ses yeux portaient des marques qui sans doute ne s'en iraient jamais, ils étaient gonflés et avaient constemment l'air humides, même si un doigt passé sous la paupière forçait à se rendre à l'évidence. Ils étaient à la fois inexpressifs et remplis de toute la souffrance du monde. Son visage comportait de petites rides par endroit et on pouvait voir quelques cheveux blancs, présents bien trop tôt dans la chevelure d'un jeune étudiant.
Il évitait les gens, ne décrochait plus son téléphone, lisait à peine ses sms et n'y répondait jamais. Cela faisait six mois, depuis l'enterrement, qu'il n'avait pas vu ses parents. Il n'était pas devenu spécialement mysanthrope mais, au fond de lui, il voulait s'enfermer dans sa souffrance, être sur de ne pas oublier, comme si c'était possible ... Mais le mec effondré et vulnérable ça en avait ému au moins une. Carole ne cessait de l'appeler, de lui écrire, parfois même elle se retrouvait sur le pas de sa porte. Il était totalement indifférent à toutes ses tentatives pour le récupérer.
Il se sentait étouffé, tout lui faisait peur et tout l'opressait. Il se complaisait dans cette douleur qui l'amenait jusqu'à la souffrance physique. Il commençait à se demander, parfois, dans des sursauts de lucidité, combien de temps il pourrait rester en vie comme ça. Mais après tout est-ce que ça avait réellement une importance ? Il l'avait perdu. Il pouvait se passer n'importe quoi dans sa vie à présent, il l'avait perdu et il ne reviendrait jamais. Tout cela avait-il encore un sens ? Sa vie à présent n'étaient qu'une longue comédie qu'il jouait en avançant dans le brouillard. Les contours des choses, des sentiments et de l'existence devenait vraiment flous pour lui et il ne voyait même plus la frontière qu'il pouvait y avoir entre sa vie et sa propre mort.
Il avait passé les derniers mois entre son appart, la fac et la bibliothèque. Le travail était devenu sa seul obcession et Aurélie son seul lien avec la civilisation, leurs conversations téléphoniques, leurs lettres, leurs e-mails. Elle était la seule chose qui le rattachait encore au monde. Elle avait quelqu'un dans sa vie, et là aussi, difficile de savoir s'il était jaloux ou s'il lui était vraiment impossible d'encore ressentir quoi que ce soit ... Elle avait peur pour lui, elle le connaissait trop bien. Il était vulnérable avec elle, il se rendait compte que les choses pourraient être différentes. Elle insistait pour le voir, s'assurer qu'il allait bien. Il s'y refusait obstinément, il allait pas bien du tout, il n'était même pas sur qu'elle le reconnaitrait et il avait peur d'elle. Peur de réaliser combien il avait besoin d'elle et qu'il suffirait d'un geste, d'un mot, pour que sa vie change et reprenne un sens, pire encore, de réaliser qu'il suffisait qu'elle existât pour que sa vie garde un sens et qu'il soit encore là .
Les mois s'étaient enchainés sans que Jean réalisa quoi que ce soit. Il avait vécu dans la nébuleuse d'un autre système solaire. Les caprices du calendrier l'obligeaient déjà à redescendre sur terre et à revenir à la réalité. Il se trouvait devant le panneau d'affichage de son immense fac. Il avait attendu toute une semaine pour être sur d'être seul à ce moment là . L'heure de vérité. Qu'avait donc donné sa seule obsession ? Il chercha des yeux la ligne des S, il était allé trop loin ... Virly ... Socquard ... ça y est, il y était enfin ! Simon Jean. Ses yeux filèrent tout au bout de la ligne pour voir sa moyenne. Il écarquilla des yeux qui n'avaient fait que rester mi-clos durant tout ces mois, il vérifia la ligne ... c'était bien sa note. 16,02. Mention très bien. Toutes les portes lui sont ouvertes, il peut avoir une bourse de mérite s'il en a envie et des recommendations sûrement.
Jean s'éloigne en trainant des pieds ...