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sortez du troupeau

Lundi 26 mai 2008 à 22:10

               L'enterrement avait eu lieu sous la neige : très pittoresque. Jean n'avait pas pleuré, mais il était vide et n'avait plus la force de s'occuper de qui que ce soit. Il était plongé dans une crise de mutisme sans précédent. Il ne désirait qu'une chose : devenir autiste mais il avait beau essayer cela ne marchait pas. Aurélie lui tenait la main. Et elle ne l'avait pas laché durant tout le mois de janvier. Elle s'occuait de lui comme de quelqu'un incapable de se débrouiller tout seul.

            Jean parlait peu. Vraiment très peu. Il retournait en cours, rentrait, révisait ses cours, se couchait. La situation devenait de plus en plus dure pour Aurélie. Mais elle avait tenu bon vraiment longtemps. Un jour elle lui a simplement expliqué que s'il voulait s'en sortir lui seul pouvait le décier et elle est partie. Elle n'avait pas tort, personne ne pouvait l'aider mais il ne voulait absolument pas s'en sortir. Alors elle est partie. Il l'a perdue et il n'a même rien dit.

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Lundi 26 mai 2008 à 12:38


          Arrivé à destination, il ouvre la porte de l'appartement dont il possède désormais la clef. Il prend une couverture posée sur le canapé, recouvre Rébecca endormie, ramasse  les mouchoirs trempés de larmes  qui trainent  tout autour et les expédie à la poubelle. Il prépare  le dîner pour deux personnes et une fois qu'il a fini réveille Rébecca. Ils mangent en silence. Peu de temps après après, c'est immanquable, Rébecca s'effondre et éclate en sanglot. Jean doit souvent la porter jusqu'à sa chambre et attendre qu'elle se calme et s'endorme avant de repartir.
               Bientôt deux mois que sa vie c'était ça. Saleté de période. Saleté de période. Saleté de réveillon. À peu près à la même période, il y a un an, il lui annonçait son mariage et voilà qu'il était dans un lit d'hôpital à ne pas bouger depuis bientôt deux mois. Stupide coma et stupide méningite qui l'avait plongé dans un sommeil dont il n'était pas sorti depuis bientôt deux mois. Stupide vie qui le rendai absent au milieu de sa famille pendant les fêtes de Noël.
                Jean avait mis son téléphone sur vibreur pour ne pas perturber le repas du réveillon mais l'atmosphère était lugubre. Il regarda discrètement sous la table le texto qu'il avait reçu, Aurélie "Désolé de te déranger en plein repas. Je sais pas exactement ce qu'il se passe mais tu devrai t'arranger pour venir." Jean se lève, prononce ces simples mots "C'est Nathan" et se précipite dehors.
             Arrivé à l'hôpital, Aurélie le prend immédiatement dans ses bras "je suis désolée". Jean n'arrive pas à y croire. Les pensées se bousculent dans sa tête. C'était dur ces deux mois mais il aurait continué longtemps comme ça, il aurait pu y arriver, il en était capable et Nathan aurait fini par guérir. Les larmes coulent sans même qu'il s'en aperçoive , des larmes qu'il a tellement retenue pour les autres. Sa gorge se rétracte et se contracte à une vitesse furieuse. Il a envie de crier mais tout reste à coincer dans cette gorge qui ne cesse de s'agiter. Son estomac se retourne, il se dégage violemment des bras d'Aurélie qui se sent de plus en plus impuissante, et se précipite vers les toilettes une main sur la bouche. Son estomac totalement vidé, il regarde son reflet brouillé par les larmes dans le miroir des toilettes. Il se tient de toutes se forces au lavabo pour ne pas tomber mais tout son corps est agité de spasmes et il s'écroule. Il pleure, pleure comme jamais il n'a pleuré, il hurle sans la moindre retenue, son corps lui fait mal, il ne trouve ni les battements de son cÅ“ur ni sa respiration. Il panique, cherche de l'air. Aurélie arrive. L'entoure de ses bras. Sa main lui caresse les cheveux. Elle pose la tête de Jean tout contre elle. Jean ferme les yeux.

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Lundi 26 mai 2008 à 12:07

          Bientôt deux mois. Bientôt deux mois que Jean voyait Aurélie et que petit à petit elle était devenue un autre lui, comme si elle avait toujours été là, comme si elle l'avait toujours attendu. Bientôt deux mois que les seules activités de Nathan étaient de faire des courbes de couleurs sur un moniteur et remplir une sonde urinaire. Jean avait délaissé ses études et sa vie pour Nathan et Rébecca. Il trouvait juste encore un peu de temps pour Aurélie, pour qu'elle l'aide et le protège, pour que ses bras soient un refuge où lui seul pourrait venir y pleurer sans que jamais personne ne le voit, sans jamais qu'elle ne le dise à qui que ce soit.
       Il allait en cours comment il pouvait. Se trouvait devant la porte de la réanimation médicale à la seconde même où les visites du début d'après-midi commençaient. Rébecca venait de moins en moins c'était devenu trop dur pour  elle, de toujours le voir immobile à juste remplir cette stupide sonde et à faire des courbes idiotes sur un moniteur qui ne lui rendait pas son mari. Les deux heures suivantes qu'il y avait entre cette visite et celle du soir, il les passait un étage au-dessus, à la cafétéria, à discuter avec Aurélie avant qu'elle ne prenne son service.
       Elle était là pour lui, depuis le premier jour, là comme personne ne l'avait jamais été. Avec elle il pouvait pleurer, pleurer ou oublier et croire, parfois, l'espace d'une seconde qu'il n'y avait qu'elle et lui au monde. Deux heures quotidiennes, les appels le soir, les textos tout au long de la journée et l'assurance qu'elle serait toujours là s'il avait besoin d'elle. IL avait besoin d'elle, comme il n'avait jamais et besoin de quoi que ce soit. Elle était plus essentiel à sa survie que l'oxygène qu'il respirait. Elle seule l'aidait à tenir et à rester vivant pour les autres pour Nathan et Rébecca.
         Après cette parenthèse de paradis il retournait en bas. Il parlait souvent d'Aurélie à Nathan. Il lui disait qu'il fallait qu'il se réveille pour qu'il puisse  la rencontrer, qu'il allait l'adorer. Il lui parlait de tout ou parfois restait juste en silence à le regarder, il le regardait tellement qu'il ne restait de lui qu'une image floue devant ses yeux qui restaient imprégnée dans son cerveau des heures durant après qu'il soit parti de là. Il est huit heures du soir quand il franchit les portes coulissantes à ouverture automatique de l'hôpital. Le bus vide et bien trop plein l'amène chez Nathan et Rébecca.
       Mais en attendant, il voit ces gens qui partagent son malheur, ça se voit à leur tête, ou qui viennent de célébrer un heureux événement. Il déteste les gens heureux dans ce bus. Ils le rendent triste et, Jean baisse la tête pour ne pas les voir. Il préfère les gens malheureux, enfin des gens qui le comprennent peut-être. Il les observe et espère qu'ils iront mieux, qu'ils pourront faire connaissance et bientôt rire ensemble de ces mauvais souvenirs. Mais il ne parle jamais à personne, il ne fait qu'observer ou baisse la tête.

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